À Reims, au cœur de la Champagne, la plus ancienne maison de champagne au monde vient de dévoiler une métamorphose spectaculaire de son site historique. Avec l’inauguration du Pavillon Nicolas Ruinart signé par l’architecte japonais Sou Fujimoto, la Maison Ruinart propose désormais une expérience œnotouristique totalement repensée, où l’élégance tricentenaire dialogue avec une architecture résolument contemporaine.
Un voyage immersif dans l’univers Ruinart
Le visiteur qui se présente désormais au 4 rue des Crayères découvre un parcours entièrement réinventé. L’approche commence par « Le Chemin des Crayères », une création signée Christophe Gautrand, artiste paysagiste français. Ce sentier sinueux aux parois sculptées reproduit à l’identique la texture caractéristique des célèbres caves de craie, inscrites au patrimoine mondial de l’UNESCO. « Avant, si on ne descendait pas dans les caves, on ne les voyait pas. Désormais, on est immédiatement plongé dans cet univers », explique Frédéric Dufour, président de la Maison Ruinart.
Cette entrée labyrinthique dissimule volontairement la vue du domaine historique, créant un effet de surprise saisissant lorsque le visiteur pénètre dans le pavillon par l’arrière. Après avoir traversé un espace marqué par un puits de lumière évoquant les essors des crayères, les portes s’ouvrent sur une immense baie vitrée. C’est alors que se dévoile d’un seul coup le spectacle éblouissant des bâtiments du XIXe siècle et du parc entièrement redessiné, comme une toile vivante encadrée par l’architecture contemporaine.
Un dialogue architectural entre passé et futur
Le choix de Sou Fujimoto pour concevoir ce nouveau cœur du domaine de 3 hectares ne doit rien au hasard. « Nul mieux que les Japonais ne sont capables d’exprimer les deux fondements du style Ruinart que sont la simplicité et la lumière, considérées ici comme la sophistication ultime », confie Frédéric Dufour.
Le bâtiment de verre et de pierre, avec son toit courbé rappelant une pagode, crée un contraste saisissant mais harmonieux avec la cour historique aux lignes angulaires et à la rigueur géométrique. Certains y voient même un écho à la pyramide du Louvre. L’emploi de la pierre de Soissons, aux teintes champenoises, pour les murs établit une continuité visuelle entre l’édifice contemporain et le siège historique.
« C’était un défi passionnant de trouver la réponse appropriée face à une telle histoire, à de telles traditions, élégance et qualité », explique Fujimoto. « La façade en verre avec sa gradation subtile du blanc au transparent s’inspire des bulles dans une coupe de champagne. De l’extérieur, le bâtiment semble parfois flotter avec légèreté, parfois s’évanouir dans le paysage grâce aux reflets qui le fondent dans le ciel. »
Le chantier, titanesque, a soulevé de nombreux défis techniques. Il a fallu construire sur d’anciennes crayères dont on ignorait l’état. L’une d’entre elles, située sous le pavillon, a nécessité six mois de travaux pour être remblayée. Une autre a provoqué l’effondrement de la route détournée, un mois après sa construction. Tout cela sans jamais interrompre la production ni l’activité hospitalière sur ce site exigu, alors que 60 entreprises différentes et 200 personnes intervenaient sur un chantier qui occupait les deux tiers de l’espace.
Des espaces pensés pour sublimer l’expérience
L’intérieur du pavillon, conçu par le designer français Gwenaël Nicolas, fait la part belle à la fluidité et à la transparence. « Le message de Ruinart est centré sur la nature et son respect. Nous avons cherché à établir une continuité entre l’extérieur et l’intérieur », explique le designer. « Vous n’avez pas l’impression d’entrer dans un salon français ou une maison de champagne traditionnelle. Il y a certes un bar, mais sa fonction s’efface ; les verres disparaissent, tout devient invisible. Mon travail consistait à faire disparaître les éléments pour mettre en valeur l’émotion de la nature. »
Cette approche se manifeste notamment par la présence de hautes tiges blanches émergeant du sol, fabriquées à partir d’innovantes fibres de lin, conçues comme un prolongement de la végétation du jardin pour révéler et dissimuler différents espaces.
La boutique présente une scénographie particulièrement originale avec son carrousel de bouteilles suspendues, telle une sculpture monumentale s’élevant du sol au plafond. « C’est une métaphore de la façon dont le champagne émerge du passé et se projette vers l’avenir », explique Nicolas. Le visiteur peut entrer dans cet espace circulaire et choisir lui-même la bouteille qu’il souhaite découvrir.
Ce carrousel dissimule également l’entrée de la nouvelle cave privée souterraine de Ruinart, réservée à une clientèle sélecte. Un travail considérable a été réalisé par l’équipe œnologique pour retrouver, aux quatre coins des crayères, des stocks jamais inventoriés. La maison a ainsi pu reconstituer quasi intégralement la collection des Dom Ruinart anciens. Certains millésimes, pour lesquels elle dispose de plusieurs centaines de flacons, sont proposés à la vente.
L’art et la nature au cœur du projet
Le jardin, entièrement repensé par Christophe Gautrand, est désormais accessible librement au public comme une galerie d’art à ciel ouvert. Il présente des œuvres créées par les différents artistes à qui la maison a donné « carte blanche » ces dernières années pour réinterpréter son univers.
Parmi ces créations figure « Nature Calendar » de l’artiste britannique Marcus Coates, un drapeau changé quotidiennement pour célébrer les événements « invisibles » du monde naturel se produisant chaque jour dans le vignoble de Taissy, propriété de Ruinart. Cette dimension artistique fait partie intégrante de l’histoire de la maison et illustre son engagement environnemental.
« La nature est essentielle pour Ruinart car nous sommes profondément enracinés dans l’environnement », explique Fabien Vallérian, directeur des arts et de la culture. « Notre produit provient du sol et des vignes, nous sommes donc confrontés aux défis du réchauffement climatique, de la pollution et du manque de biodiversité. Pour nous, c’est un élément clé dont nous devons parler. Nous croyons fermement que les artistes sont les meilleurs ambassadeurs de ce message. »
Cette préoccupation écologique se manifeste également dans la conception même du pavillon, qui produit 80 % de son énergie grâce à des sources géothermiques et solaires. Le toit végétalisé repose sur une structure en bois, et les murs sont façonnés par des tailleurs de pierre à partir de pierre de Soissons locale plutôt qu’en béton.
Une expérience œnotouristique complète
L’expérience proposée aux visiteurs comprend également un bar avec sa carte de finger food, une galerie des vignes où est notamment projeté le film de Yann Arthus-Bertrand réalisé à l’occasion de la sortie de la cuvée Blanc Singulier, ainsi qu’une salle d’exposition dans l’ancienne cuverie.
Pour les collectionneurs, des exclusivités sont prévues, comme la Réserve ou encore des cuvées millésimées déjà commercialisées par le passé, mais dont on a prolongé pour une petite partie du contingent le vieillissement sur lie en prévision d’une seconde édition à un autre stade de maturité.
Ce projet ambitieux marque un tournant dans l’histoire de cette maison fondée en 1729 par Nicolas Ruinart, neveu du moine bénédictin Dom Thierry Ruinart qui, revenant de Paris en 1680, avait rapporté le goût naissant de la cour française pour les « vins avec des bulles », pas encore connus sous le nom de champagne.
En entrant par « le futur » plutôt que par « le passé », comme le souligne Gwenaël Nicolas, Ruinart présente une approche résolument innovante tout en célébrant ses trois siècles d’histoire. Une évolution qui illustre parfaitement la capacité de cette maison tricentenaire à se réinventer sans jamais perdre de vue l’excellence et le raffinement qui ont fait sa réputation.
Le pavillon Nicolas Ruinart est ouvert au public depuis le 5 octobre 2024, offrant une plongée fascinante dans l’univers de la plus ancienne maison de champagne au monde.