Il est facile d’imaginer que les « bulles champenoises » ont toujours été associé aux occasions festives, et surtout à la richesse et à l’ostentation. Mais l’histoire du champagne révèle le contraire. En effet, la boisson est étonnamment moderne, tout comme l’industrie et les traditions qui l’entourent. Et comme tant d’inventions, son développement est en grande partie le produit de trois éléments : l’expérimentation, le changement culturel et la chance.
Tout a commencé par un accident
La région française de Champagne produit des vins depuis des centaines d’années, et les vignobles y sont présents depuis au moins l’époque gallo-romaine.
Situé à proximité de la Bourgogne, la Champagne tente de rivaliser avec son voisin viticole plus prestigieux. Les vignerons champenois produisaient des vins tranquilles pâles, rosés, principalement à base de pinot noir. Mais ceux-ci étaient généralement plus faibles et plus acides que leurs homologues prisés en Bourgogne.
Le positionnement géographique au nord de la région engendre également des hivers froids qui ont la fâcheuse tendance à interrompre le processus de fermentation, laissant des sucres et des levures non digérés dans les bouteilles de vin et forment du dioxyde de carbone pour finalement exploser. Les bouteilles qui résistent à la pression possèdent une qualité : des bulles effervescentes qui commencent à gagner la faveur de la royauté française à la fin du XVIIe et au début du XVIIIe siècle.

En 1715, le duc d’Orléans commence à servir du vin mousseux produit localement à la cour du Palais Royal de Paris, divertissant des invités riches et célèbres avec une boisson qui n’était généralement accessible qu’à la haute aristocratie. Sa popularité explose parmi les élites parisiennes.
Mais le vin mousseux reste une nouveauté malencontreuse. Et dans la France d’avant la révolution industrielle, la plupart des vignerons le désapprouvent encore et cherchent à éliminer ces bulles embêtantes.
Néanmoins, l’adoption de la boisson par des connaisseurs riches et royaux qui souhaitaient afficher leur accès à un produit rare – y compris à Paris et à l’étranger – rapprochera le champagne vers un produit de luxe délibérément fabriqué.

Au XVIIIe siècle, des maisons désormais célèbres telles que Moët & Chandon, Taittinger et Louis Roederer ouvre leurs portes en Champagne. Ils rivalisent pour fournir les banquets royaux et les fêtes aristocratiques à la mode.
Dom Pérignon n’est pas l’inventeur du champagne
Les vins tranquilles de la région de Champagne (souvent appelés clairets) ont déjà gagné en popularité parmi les Londoniens riches et puissants à partir de 1661 environ. Les ducs et autres personnalités royales commandent des caisses de ces vins de Champagne pour compléter leurs besoins croissants.
Certains d’entre eux, bien sûr, avaient des bulles en raison de la production accidentelle de dioxyde de carbone à partir des sucres non fermentés laissés dans les bouteilles.
En Champagne, les vins effervescents sont toujours perçus comme défectueux, alors que les Anglais chantent leurs louanges et cherchent à savoir comment les reproduire.
De nombreux historiens soutiennent que c’est un moine anglais – et non le français Dom Pérignon – qui a inventé la bouteille de champagne en verre épais et le bouchon au début du XVIIe siècle. En utilisant du liège importé du Portugal pour fermer des récipients en verre plus épais, et en ajoutant volontairement aux vins du sucre, de la mélasse et des épices, les Anglais auraient été les premiers à mettre en bouteille avec succès du vin mousseux de manière à empêcher les explosions. Le scientifique britannique Christopher Merret a présenté ses conclusions sur de telles avancées dans un article pour la London Royal Society en 1662.
Il démontre aussi, preuves à l’appui, que des vins mousseux ont été délibérément produits en Grande-Bretagne avant même que la Champagne ne se forge la réputation de l’invention du vin mousseux.
Dans tous les cas, l’affection et la demande croissantes de bulles parmi l’aristocratie anglaise au XVIIIe siècle ont certainement accéléré l’industrie pour devenir ce qu’elle est aujourd’hui.
Les bulles désormais convoitées remplissent les cours d’Angleterre et se répandent rapidement dans toute l’Europe, ouvrant la voie à la production systématique de champagnes pendant la révolution industrielle du XIXe siècle.
Le mythe du moine bénédictin et sa réelle contribution

De nombreux récits attribuent au moine bénédictin Dom Pérignon – dont le nom est synonyme d’une marque privilégiée – l’invention du champagne. Mais cela est au mieux trompeur, voire carrément faux. Pendant des années, le moine vigneron qui exerce les fonctions de maître de chai à l’abbaye d’Hautvilliers a tout fait pour retirer les bulles de ses cuvées minutieusement élaborées.
Le processus qui est utilisé pour faire du champagne et d’autres vins effervescents a été considéré comme indésirable par Pérignon. Il essaie ainsi d’éviter de l’utiliser, et s’éloigne également de l’utilisation de raisins blancs pour les vins alors produits dans la région, car ceux-ci sont plus susceptibles de produire des bulles.
Le mythe du moine inventant le champagne (et les bouteilles avec les bouchons si caractéristiques qui sont encore utilisées aujourd’hui) a été promu par un successeur du XIXe siècle à l’abbaye, Dom Groussard. Son but ? Probablement pour rehausser la notoriété du vignoble d’Hautvilliers à une époque où les vins effervescents attiraient l’attention du monde entier.
Plus tard, l’industrie du champagne elle-même a propagé le mythe de Dom Pérignon pour créer un sentiment de mystique autour de la région et du produit.
Néanmoins, le célèbre moine contribua à perfectionner le processus de vinification. Son virage vers l’utilisation d’un assemblage de raisins rouges soigneusement séparés des peaux, évitant l’utilisation de raisins blancs, a été un développement majeur pour la région et plus tard la production réussie de champagnes.
Ses règles minutieuses concernant la taille, la fermentation et les assemblages de raisins seront également déterminantes dans le développement éventuel de l’industrie du champagne.
Ses premiers efforts pour éviter une pression excessive sur les bouteilles à cause des restes de sucre aident, bien sûr, les autres à inventer les bouteilles particulièrement façonnées pour les vins mousseux.
Des premiers champagnes chargés de sucre
La plupart des meilleurs champagnes produits aujourd’hui ne sont pas particulièrement sucrés, contrairement aux blancs mousseux comme le Prosecco italien qui est souvent écœurants. Les champagnes les plus fins ont tendance à porter l’étiquette « Brut » ou « Extra-Brut », ce qui signifie avec très peu de sucre dans le produit fini.
Mais au début, le champagne était souvent chargé de sucre pour s’adapter aux goûts de l’époque. Parfois, l’ajout abondant de sucre permettait aux producteurs de masquer les problèmes de fermentation ou d’ingrédients bruts de qualité inférieure.
Selon de nombreux historiens, les consommateurs scandinaves et russes préféraient leurs mousseux bien sucrés, tandis que leurs homologues allemands, français et américains préféraient les champagnes d’une douceur modérée.
Pendant ce temps, les consommateurs anglais avaient tendance à privilégier un style de champagne beaucoup plus sec, ne contenant qu’environ 22 à 26 grammes de sucre, contre 250 à 330 grammes dans les bouteilles exportées vers la Russie.
Peut-être parce que l’enthousiasme britannique pour le champagne a été une force motrice dans l’évolution de l’industrie, les catégories secs et extra-secs ont progressivement gagné en popularité. Finalement, ils sont devenus la règle plutôt que l’exception.
Vous pouvez encore trouver des champagnes demi-sec (demi-doux) aujourd’hui, bien que de nombreux vignerons les considèrent comme suspects. Cependant, ils ont connu une nouvelle poussée de popularité ces dernières années.
Le Prosecco connaît un regain de popularité. Le cousin italien est beaucoup moins cher que le champagne, ce qui permet de boire plus librement. Il plaît également aux palais qui préfèrent un vin mousseux plus doux et plus sucré.