L’un des premiers vrais chefs célèbres au monde, Auguste Escoffier (1846-1935) est reconnu pour avoir contribué à élever le statut de la cuisine d’une tâche d’ouvrier à une entreprise d’artiste. Reconnu comme « le roi des chefs et le chef des rois », Escoffier a laissé un héritage d’écrits culinaires et de recettes indispensables aux cuisiniers modernes, et reste peut-être le nom le plus important de la cuisine française.
Georges Auguste Escoffier, connu plus tard simplement sous le nom d’Auguste Escoffier, est né le 28 octobre 1846 dans le petit village de Villeneuve-Loubet, près de Nice, en Provence. Parmi les personnages clés de la vie du garçon figure son père, qui travaillait principalement comme forgeron mais cultivait également des plants de tabac. Sa grand-mère, une cuisinière enthousiaste, était peut-être plus responsable que quiconque d’avoir inculqué au garçon le goût des délices de la cuisine.
Le jeune Escoffier fréquente l’école locale jusqu’à l’âge de 12 ans, date à laquelle son père juge nécessaire que le garçon apprenne un métier. À l’école, il montre un talent pour le dessin, mais il est encouragé à poursuivre cet art uniquement comme passe-temps et à trouver sa carrière dans une vocation plus pratique. C’est ainsi que son père l’emmène à Nice, où il travaille comme apprenti dans le restaurant de son oncle, le réputé Le Restaurant Français. C’était en 1859 et Escoffier allait avoir 13 ans, quand il commence ce qui est pour beaucoup une carrière modeste, mais qui deviendra pour lui une carrière illustre.
Apprenti chez un restaurateur
Au Restaurant Français, Escoffier n’est pas choyé comme le neveu du patron. Au contraire, il connait un apprentissage classiquement discipliné et ardu. Pour cette rigueur de formation, il exprimera plus tard, dans ses mémoires, sa gratitude.
Il commence comme garçon de cuisine et commis-saucier, et est initié aux tâches de base de l’entretien du restaurant, telles que la sélection des ingrédients et le service aux clients. Pendant ce temps, Escoffier fréquente également l’école du soir et doit jongler entre ses études et les exigences d’une carrière naissante.
Alors qu’Escoffier est âgé de 19 ans, il qu’il a pris encore plus de responsabilités dans le restaurant de son oncle, un mécène reconnait ses compétences et lui propose de travailler à Paris. C’est le propriétaire du Petit Moulin Rouge, l’un des meilleurs restaurants de Paris, où Escoffier devait devenir sous-chef.
Après trois ans à ce poste, il atteint le niveau de chef de cuisine, enfilant la toque estimée du chef. Homme de petite taille, Escoffier aurait pris l’habitude de porter des chaussures compensées pour mieux faire fonctionner les fourneaux du restaurant.
Escoffier est resté à Paris, quittant brièvement son poste pour une formation militaire, jusqu’en 1870, date à laquelle il est appelé au service de l’armée au début de la guerre franco-prussienne.
Nommé chef de cuisine, il applique ses talents au quotidien de l’armée française. Confronté au défi de créer des plats qui se conservent bien, Escoffier est l’un des premiers chefs à étudier sérieusement les techniques de mise en conserve des viandes, des légumes et des sauces. Après la guerre, il retourne au Petit Moulin Rouge, où il restera chef de cuisine jusqu’en 1878.
Parmi les efforts ultérieurs d’Escoffier à Paris figure sa gestion de la Maison Chevet, un restaurant du Palais Royal spécialisé dans les dîners de banquet, souvent préparés pour des fonctionnaires et des dignitaires. Plus tard, il dirige les cuisines de La Maison Maire, propriété du célèbre restaurateur Monsieur Paillard.
Mais la réalisation la plus remarquable d’Escoffier au cours de cette période est peut-être son mariage en 1880 avec Delphine Daffis, la fille d’un éditeur. Leur mariage durera 55 ans, et ils mettront au monde deux fils et une fille.
Au cours de leurs premières années ensemble, le couple passe ses étés à Lucerne, en Suisse, où Escoffier dirige les cuisines de l’Hôtel National, et ses hivers à Monte Carlo, où il est directeur de la cuisine du Grand Hôtel.
C’est à Lucerne qu’Escoffier rencontre l’hôtelier suisse César Ritz, qui occupera une place importante dans sa vie et avec qui il nouera une association célèbre.
Ritz, originaire d’un petit village du Valais suisse, avait commencé sa carrière comme palefrenier d’hôtel et avait gravi les échelons, de maître d’hôtel à directeur d’hôtel. C’est Ritz qui embauche Escoffier comme chef à l’Hôtel National, et les deux continueront à combiner leurs talents tout au long de leur remarquable carrière.
En équipe avec le Ritz
Parmi les premiers succès d’Escoffier et de Ritz figure leur joint-venture au Savoy Hotel de Londres, le premier hôtel de luxe moderne, où de 1890 à 1898 Escoffier est chef des services de restauration et Ritz prend le poste de directeur général. Lorsque Ritz ouvre son propre hôtel à Paris, l’Hôtel Ritz ultra-moderne, Escoffier apporte son expertise culinaire.
Il retourne bientôt à Londres pour faire entrer dans la légende le chic hôtel Carlton, où les clients comprennent des sommités telles que le prince de Galles. C’est ici, où Escoffier préside les cuisines pendant plus de vingt ans, que le chef français attire l’attention du monde entier pour sa haute cuisine.
C’est également au Carlton que, le jour de l’ouverture de l’hôtel en 1899, Escoffier dévoile un nouveau dessert, la pêche Melba, créé et nommé en l’honneur de la cantatrice australienne et ancienne pensionnaire du Savoy Hotel, Nellie Melba.
Au Savoy et au Carlton, Escoffier crée certaines de ses recettes les plus célèbres, la pêche Melba en fait partie, tout comme le chaud-froid Jeannette et les cuisses de nymphes à l’Aurore, un plat de cuisses de grenouilles nommé d’après le prince de Galles.
C’est également à cette époque que le chef français introduit et perfectionne certaines de ses nombreuses innovations en matière de cuisine, de service de restauration et d’organisation de la cuisine. S’écartant du style des chefs précédents, Escoffier s’efforce de simplifier l’art de la cuisine, en supprimant les garnitures excessives, les sauces lourdes et les présentations élaborées.
En tant que chef français le plus en vue de son époque, il succède à l’artiste culinaire Marie-Antoine Carême (1784-1833) et cherche à moderniser l’approche complexe de son prédécesseur en matière de cuisine, modifiant ainsi les normes de sa cuisine nationale.
La préférence d’Escoffier pour la simplicité s’étend également aux menus des restaurants. Il réduit le nombre de plats servis et s’attribue le mérite d’avoir introduit, au Carlton, le premier menu à la carte.
Lors de grands repas de type banquet, Escoffier abandonne une pratique appelée service à la française, dans laquelle des collections de plats de toutes sortes sont servies à table simultanément. Au lieu de cela, le chef français choisit de standardiser le service à la russe, dans lequel chaque plat est présenté dans l’ordre dans lequel il apparaît sur le menu.
En cuisine, les innovations d’Escoffier tendent à nouveau vers la simplification. En tant que chef cuisinier au Carlton, il relève le défi de devoir préparer rapidement de superbes plats pour la clientèle de haut niveau de l’hôtel, et il trouve de nombreuses inefficacités dans l’organisation de la cuisine de restaurant standard.
À l’époque d’Escoffier, la cuisine du restaurant est composée d’unités séparées dans lesquelles des groupes de chefs travaillent seuls, dupliquant souvent les tâches les uns des autres et créant plus de travail que nécessaire.
Escoffier insiste sur l’unification et la rationalisation de la cuisine du restaurant, afin que son équipe d’une soixantaine de chefs puisse travailler ensemble de manière transparente et rapide, servant jusqu’à 500 plats lors d’un dîner typique du dimanche au Carlton.
Les conditions de travail des ouvriers de cuisine demandent également à être améliorées. À l’époque du chef français, l’atmosphère de la cuisine, bruyante, chaotique, surchauffée par des poêles à bois ou à charbon, et envahie par de puissantes odeurs de cuisine, crée des conditions de travail parfois intolérables et les chefs se mettent souvent à boire en travaillant.
Escoffier vise à freiner ces excès, qui compromettent souvent la santé des ouvriers de cuisine. Il a même embauché un médecin pour l’aider à concocter une boisson réconfortante et saine, à base d’orge, que les cuisiniers peuvent boire à la place de l’alcool. Grâce à ces améliorations et à d’autres, Escoffier a contribué à rehausser l’estime d’une profession autrefois considérée comme basse et grossière.
Le Guide et autres ouvrages
Le tournant du siècle apporte quelques changements pour Escoffier. Son partenariat avec Ritz prend fin en 1901, lorsque Ritz est tombé malade d’une dépression nerveuse. Pourtant, des changements plus heureux surviennent dans les années suivantes, lorsqu’Escoffier commence à publier ses œuvres culinaires, ouvrant une nouvelle voie dans sa carrière.
Son premier livre, Le Guide culinaire (1903), est une ressource exhaustive, comprenant environ 5 000 recettes et préparations de garnitures. Le Guide, connu des anglophones sous le nom de The Escoffier Cook Book, reste une référence inestimable pour les cuisiniers contemporains. Les livres publiés par la suite par Escoffier incluent Le Carnet d’Épicure (1911), Le livre des menus (1912) et Ma cuisine (1934).
Homme énergique et intarissable, Escoffier prend le temps d’entreprendre de nouvelles démarches en plus de son travail au Carlton et de la préparation de ses manuscrits. En 1904, une compagnie maritime allemande, Hamburg-Amerika Lines, invite le chef français à planifier un service de restauration à proposer aux passagers de ses paquebots de luxe.
Appelé les restaurants Ritz-Carlton, le service est dévoilé en 1912 en grande pompe. Pourtant, Escoffier ne s’intéresse pas uniquement aux modes de vie de la clientèle aisée et privilégiée des restaurants chics et des paquebots de croisière. Philanthrope dans l’âme, il organise des programmes pour nourrir les nécessiteux et apporter une aide financière aux chefs à la retraite.
Passant à un âge avancé tout en conservant son enthousiasme juvénile, Escoffier continue à diriger les cuisines de l’hôtel Carlton jusqu’en 1919, année où il atteint 73 ans. Son projet est de se retirer avec sa femme à Monte Carlo, mais peu de temps après son arrivée dans cette ville, il se voit présenter une autre opportunité commerciale irrésistible.
Une vieille amie, veuve de son ancien collègue du Petit Moulin Rouge Jean Giroix, invite Escoffier à collaborer avec elle à l’administration de l’Hôtel de L’Ermitage. Le chef français accepte, échappant à la retraite. Il participera même au développement d’un autre hôtel, le Riviera, dans le Haut de Monte-Carlo.
Le chef âgé, dont le nom est devenu synonyme de cuisine superlative, jouit à la fin de sa vie d’une renommée mondiale. En 1920, le gouvernement français reconnait Escoffier pour son travail visant à élever le statut de la cuisine et de la culture françaises en le faisant Chevalier de la Légion d’Honneur, et à nouveau en le faisant Officier de la Légion d’Honneur en 1928.
En 1921, Escoffier prend finalement sa retraite de la vie de restaurant, bien qu’il continue à écrire sur son travail et ses expériences. Le chef français décède à Monte-Carlo à l’âge de 89 ans, le 12 février 1935, quelques jours seulement après la mort de sa femme.
En guise de conclusion
Escoffier laisse un héritage toujours apprécié par les chefs professionnels, les cuisiniers à domicile et les gastronomes en France et à l’étranger. Il a inventé quelque 10 000 recettes et des institutions culinaires du monde entier continuent d’enseigner ses méthodes.
En 1966, la maison dans laquelle il est né est transformée en un musée culinaire. Ainsi sa ville natale de Villeneuve-Loubet, jadis même pas un point sur la carte de la Provence, est désormais bien indiquée sur la route de Nice à Cannes.
Ces hommages et d’autres servent à honorer le maître de la cuisine française, à qui le Kaiser Wilhelm II aurait dit un jour : « Je suis l’empereur d’Allemagne, mais vous êtes l’empereur des chefs. »